Faut-il vraiment présenter Pillars of Eternity 2 ? Sorti en mai dernier, le jeu a été religieusement accueilli par les adorateurs fanatiques de l’Infinity Engine, qui ont brulé dans la foulée quelques cierges pour qu’Obsidian ne se lance pas subitement dans un mode Battle Royale. Les fourbes. Tout était donc organisé dans les meilleurs des plans, de sorte que PoE2 convienne à un public de niche et cartonne naturellement au Game Top Sellers. Ce fut quasiment un sans-faute : le scénario pourléché était à la hauteur et correspondait en tout point à ce qui était demandé, balayant bon nombre de défauts du premier opus. Le rituel avait marché. Les fans ravis se gaussaient de leur omniprésence. Cela tenait presque de la sorcellerie. Ce n’est pourtant guère l’avis de certains financeurs qui restent plutôt sur leur faim et se plaignent d’un retour sur investissement bien maigre. C’est désormais une réalité, Pillars Of Eternity 2 est un flop commercial à l’instar de la franchise Tyranny. Simple coïncidence ou causalité, Obsidian Entertainment se fait racheter six mois après la sortie du jeu, par un Microsoft boulimique de talents. La firme de Redmond désireuse d’étoffer au plus vite ses nouvelles exclusivités pour la Xbox One ne regarde point à la dépense pour creuser le fossé avec la concurrence. On leur souhaite bien du courage…
Au large des Dents de Magran se tient ma demeure, mon île rocailleuse, âpre et rugueuse : Motorangō ô Niharakao. La mer se jette sur ses falaises indestructibles, avide d’érosion depuis des âges. Curieux, nos prêtres les plus téméraires s’essayent toujours de comprendre comment les assauts d’Ondra ne puissent en aucune manière avoir de prise sur notre domaine insulaire. En vain. Notre eden est affuté, taillé pour affronter la tempête et les retours tumultueux des vagues déferlantes. Mais notre havre n’est guère exempt de défauts. Moins généreux avec ses habitants, il est peu enclin à nourrir le peuple qui foule son sol depuis des générations. La terre volcanique peu endurante est en effet fort ingrate et la faune bien rare. Par chance, un mince filon d’Adra nous permet encore de subsister et de commercer avec d’autres ethnies huanas qui font du cabotage vers les archipels de Motare ô Kōzi et l’île d’Hasongo. Mais peu à peu les membres de la majorité des tribus huanas de l’île lassées par l’usure du lieu, partent bien souvent à Neketaka faire fortune à l’instar des vils Rauatai connus pour leur cupidité absurde. Certains n’en reviennent jamais, enfermés dans leur zone de confort. Les galohis. Mais j’en ai cure, les miens issus du clan Wahakis ne sont point du genre à troquer leur fierté contre quelques breloques.
Et depuis peu, le dieu Éothas est entré en scène. La divinité de la Renaissance s’est arraché des Chemins Infinis et agrège actuellement toutes les âmes sur son passage lors de sa traversée du Feu éteint, fauchant dans son périple, notre communauté cinq fois millénaire comme un fétu de paille. Je suis le seul foutu survivant.
Il fallait donc s’attendre à que le studio de Feargus Urquhart envoie leur angoisse par le fond avec du tatoué en fonte pour que la sauce prenne
Vous êtes encore là ?
Très bien. Voici le genre d’histoire que vous allez devoir empiler dans Pillars of Eternity 2. Mais je vous rassure, le scénario est nettement moins cryptique que son prédécesseur tout en restant verbeux et érudit. De l’art de la conception narrative vous dis-je, car une fois n’est pas coutume, Obsidian joue la carte d’un plot efficace posant les bases d’un univers riche et plutôt dense. Gardien de Caed Nua sur la logique du premier opus, vous vous retrouvez soudainement à l’article de la mort, suite à l’action d’une puissance supérieure. Quelque temps après, vous comprenez un peu hébété, que la blague du dieu Eothas est quand même de fort mauvais gout.
La divinité assez folâtre, prend en effet possession d’un immense artefact humanoïde enfoui sous votre forteresse et s’extirpe de cette dernière avec perte et fracas. Votre âme en fait royalement les frais et vous perdez l’essentiel de votre mémoire. Ivre de vengeance et quasiment à poil, il ne vous reste que votre conscience pour ne pas sombrer dans la dépression et outre l’urgence de vous refaire une garde-robe, il s’agit néanmoins de poursuivre l’odieux personnage avec votre Sloop brinqueballant. L’aventure s’arrête bien vite, car vous vous échouez lamentablement sur une ile du Feu Eteint, la nouvelle région aux confins de l’univers connu de Pillars Of Eternity. Particularité géologique, cette partie du monde est un archipel composé d’îles hautes en couleur.
De quoi boire la tasse.
D’ailleurs, c’est en visionnant les premières images des Updates d’Obsidian, dans les années qui ont précédé la sortie du jeu, qu’un constat s’imposait dans nos têtes de carguasses vides. Les visuels épuisaient déjà en longueur toutes les ficelles de la piraterie, allant de la jungle luxuriante, aux tribus exotiques, de quoi faire pâmer Corto Maltese de mélancolie sous le regard blasé d’une mouette rieuse. Ce n’est pas s’en rappeler certaines cartes d’Icewind Dale 2 qui s’était essayé sans conviction à quelques claquettes tropicales dans son délirium scénaristique. Cependant, on ne pouvait s’empêcher de se demander ce que ça allait donner en profondeur. L’entièreté du jeu dépendait d’un univers digne d’un Monkey Island sous acide. Plutôt casse-gueule et à la fois enivrant. Il fallait donc s’attendre à que le studio de Feargus Urquhart envoie leur angoisse par le fond avec du tatoué en fonte pour que la sauce prenne.
La disrupte en archipel
Ce qui frappe en premier lieu, avec PoE2 c’est ce sentiment d’immensité. Rehaussé par un relent d’iode que l’on voudrait sentir à plein nez, on ne souhaite désormais qu’une chose: sillonner la mer tous azimuts, et s’enivrer jusqu’à plus soif de cet univers de flibuste un brin fantasmé.
PoE2 arrive donc, à nous véhiculer le mouron voire même le mal du pays de l’aventurier dyrwoodien en plein choc culturel par trop éloigné des standards habituels du med-fan classique. Un comble.
L’enthousiasme des frères de la côte californienne est manifestement communicatif. À chaque loading, on se surprend parfois à aiguiser consciencieusement son Opinel le regard vide de sens. Vous aurez même le loisir d’affûter toute votre collection et celles de vos proches, tant cela arrive plus souvent qu’à votre tour. Mais wowowo… je m’égare, sachez que quand on aime, on se doit d’être résilient.
Et puis il faut l’accorder, tout s’enchaine ensuite pêle-mêle : premier donjon, premiers ennemis et dès que votre poubelle flottante est remise à flot, il s’agit d’accoster au plus vite pour disrupter avec les notables du coin..
Plutôt des-paysans
Dès le premier port, première déconvenue de startupper déconfit. La pléthore de gueux est là, mais pas forcément ceux qu’on attendait. Ils déambulent indolents complètement indifférents à votre présence et jactent un patois mordant immortalisé par des infobulles bien utiles. C’est en traînant vos guêtres au milieu de la plèbe locale que vous allez comprendre que les Huanas, Wahakis, les compagnies Valienne et Rauatai, et les pirates Principi sont des factions qui vont bercer désormais votre quotidien. De prime abord, on est totalement aspiré dans les démêlés des tribus huanas qui semblent toutes puissantes en ces lieux. Donc pour vendre votre camelote, il faudra adapter votre pitch à la faune du coin. De plus, les intrigues au travers des quêtes, sont nombreuses avec parfois des enjeux colossaux, mais plutôt obscurs dont on a du mal à saisir les tenants et aboutissants et cela avec la meilleure volonté du monde. On est sûr d’une chose, entre deux lampées de rhum, c’est que cela agite vivement les autochtones dont la plupart ont un charisme digne d’une moule-frite. Et puis, il faut le dire, on est même franchement paumé, tant on a de la peine à s’identifier.
C’est en essayant de comprendre la quintessence du truc, que l’on capte un délicieux parfum de dépaysement connu des seuls groupes d’expat’ qui ont roulé leur bosse depuis des décennies. PoE2 arrive donc, à nous véhiculer le mouron voire même le mal du pays de l’aventurier dyrwoodien en plein choc culturel par trop éloigné des standards familiers du med-fan classique. Un comble. Pour rappel, les boucaniers qui se rapprochent le plus des stéréotypes habituels, sont une caste à part, les Principis et se font plutôt discret sur Port Maje. Bon sang, il va vraiment falloir donner un coup de pied dans la fourmilière et s’impliquer un peu plus dans le scénario pour que l’histoire avance et qu’on ne devienne pas le spectateur de ses propres interactions cantonnées aux seules règles (diluées) de l’Infinity Engine de PoE2. Ces diables d’Obsidian ont effectivement su remodeler l’univers de la piraterie, déstructurer les codes établis, écrémer le bling-bling et ajouter du folklore rocailleux littéralement issu des mers de Philippines et des Célèbes. D’une indécence rare.
Le diktat de l’Infinity Engine
Vous vous en doutez bien pour que tout ce joyeux monde cohabite dans les règles de l’art, il faut absolument une mécanique qui tient la route. Penchons-nous quelques secondes sur ce macrocosme de niche. Au commencement existait techniquement le Gold Box Engine développé par Strategic Simulations en 1988 en réponse à un appel d’offres de TSR qui souhaitait une déclinaison numérique de leur jeu de rôle sur table, Donjons & Dragon. Cette initiative a permis la sortie du jeu étalon Pool Of radiance, suivi de près par une dizaine de titres sur le même moteur. Son fils spirituel l’Infinity Engine programmé par Bioware prendra le relais dix ans plus tard. Reconnu pour son excellence (qui n’a d’égale que sa rigidité), il devient la référence des cRPG D&D en vue isométrique et octroie la possibilité de gérer jusqu’à six personnages dans un groupe d’aventuriers. L’Infinity Engine en tant qu’assistant du maître du jeu reproduit quasiment à la lettre les règles avancées de Donjons et Dragons. Ce moteur 2D en temps réel (mais autorise la pause en combat) a permis l’émergence de franchises d’exception à l’instar de Baldur’s Gate, Planescape : Torment, Icewindale. On peut même parler d’expérience de jeu. Dès lors, les fanboys s’agglutinent et s’additionnent désormais par milliers et… de ce qu’on peut dire, ils ne sont pas très souples. Changer une caractéristique provoque immanquablement l’ire de la communauté.
Relaxez-vous, fermez les yeux et imaginez un instant qu’un troll puisse définitivement résister à l’acide ? Impensable me direz-vous. C’est le problème auquel Obsidian a été confronté lorsque le studio s’est lancé dans le développement de Pillars Of Eternity. Il s’agissait de rendre hommage au classicisme de l’Infinity Engine tout en prenant en compte les avancées technologiques et les habitudes tendance des joueurs, afin qu’un jeu de ce genre puisse exister de nos jours. En d’autres termes, il fallait retranscrire au mieux les règles de l’Infinity Engine sur le moteur 3D Unity et adapter les graphismes en vue isométrique tout en instillant quelque chose de nouveau qui nous ferait frétiller du cocotier.
Pénates de l’éternité
Vous l’avez surement compris, les développeurs d’Obsidian se sont fortement investis dans la série PoE pour imiter l’atmosphère des jeux d’antan, tout en gardant un pied dans la modernité. Cela passe premièrement par un système créé de bout en bout (gestion de personnages, résolution de combat) inspiré de l’évolution de Paizo du ruletset 3.5 de D&D (Pathfinder). Deuxièmement, il a fallu improviser à partir d’une fausse 3D isométrique, le rendu graphique à transposer pour le coup en vraie 3D isométrique. Et dernièrement, il était nécessaire pour l’immersion, d’insuffler une narration de haut vol par une écriture de qualité, maintes fois plébiscitée dans les jeux d’antan. PoE2 arrive dans ce contexte où il se doit de corriger les erreurs de son prédécesseur tout en innovant. Cette suite initie de facto la seconde adaptation du ruleset d’Obsidian. Josh Sawyer le design director de PoE2 admet que Deadfire est probablement le jeu le plus éloigné de l’Infinity Engine de tous les projets sur lesquels il a pu travailler. Plusieurs raisons à cela : la gestion des navires qui est une brique toute nouvelle avec ses règles d’intendance spécifiques (équipage, combat, évolutions, inventaire), les ajustements demandés du premier opus, les graphismes améliorés de la nouvelle mouture d’Unity (v5) et enfin le drame communautaire : la taille du groupe traditionnellement à six réduite à cinq. Exit donc la gestion confortable : deux tanks (guerrier, prêtre/barbare), deux DPS (mage, druide/barde) et un voleur/rodeur.
Multi-clash !
Obsidian qui marchait de toute façon sur des œufs se doutait bien qu’un moment ou un autre, il ne ferait pas l’unanimité sur ses orientations. Le studio californien est d’ailleurs revenu à maintes fois sur ce choix avec une explication simple : les nouvelles possibilités par protagoniste en situation de combat. Poe2 offre effectivement un nombre d’actions plus substantiel surtout si on le compare à un jeu basé sur l’Infinity Engine. À en croire les coyotes d’Obsidian, la somme d’empoignades générées par un joueur avec cinq personnages de PoE2 équivaut à celles de vos six comparses issus d’un Icewind Dale 2. En effet, étriper une bande de kobolds, peut engendrer potentiellement une centaine de gestes de votre part, au vu des multiples aptitudes que suggère chaque classe. Et c’est beaucoup, le mode IA qui propose un excellent système de gambit à la manière d’un FF12 pourrait être d’ailleurs votre meilleur pote.
Un combattant s’octroie à lui seul une dizaine de capacités d’action à haut niveau (environ une trentaine pour un magicien en termes de sorts) à cumuler avec les capacités spéciales et actions habituelles en combat (armes, objets spéciaux, potions, etc.). C’est bien plus qu’un guerrier lambda sur Pathfinder : Kingmaker qui suit stricto sensu le ruleset de Paizo avec six personnages. De plus, comme nous l’avons pu remarquer le jeu pousse naturellement au multiclassage afin de répondre à un gameplay plus nerveux et surtout moins strict. Le multiclassing dispensé par PoE2 est un nouveau système qui permet d’élever (plus lentement) deux classes en même temps. Les habitués des avatars triclassés des Baldur’s Gate comprendront cette phase exploratoire pour sortir des monoclasses à sens unique jugées boring. Par ailleurs, dans PoE2 certaines classes comme le roublard ne sont plus incontournables : la détection des pièges, crochetage et vol dépendent de spécialisations accessibles à toutes les classes, qu’il s’agit de hisser selon les besoins de l’aventure. De ce fait monter un fier-à-bras (guerrier/voleur) est l’occasion de concevoir un personnage solide et polyvalent. A contrario builder un mage évocateur pur jus ravira les grobills qui veulent du blast efficace. Associé avec le bon grimoire il s’impose spontanément comme un excellent DPS et surtout un finisseur hors pair.
Les combats navals sous forme textuelle lassent très vite et n’ont aucun intérêt hormis contenter l’égo d’un groupuscule de rôlistes qui se lorgnent mutuellement le nombril.
Couacs en stock
Autant le dire tout de suite le jeu bénéficie d’une finition exemplaire, aussi bien sur la localisation, qui est excellente, qu’au niveau des graphismes qui sont pourléchés et originaux pour le genre, relarguant son terne prédécesseur au rang de faire-valoir. On reconnait bien la patte de Josh Sawyer pour ceux qui ont encore en mémoire les cartes de toute beauté d’Icewind Dale 2, mais inutile de se voiler la face, cela reste la jambe de bois vermoulue qui cache la forêt. Si l’on pose un curseur sur la principale nouveauté : la gestion de votre navire, bien que grisante de prime abord, cette feature gadget n’apporte au final que peu de choses et laisse le joueur sur sa faim. Les combats navals sous forme textuelle lassent très vite et n’ont aucun intérêt hormis contenter l’égo d’un groupuscule de rôlistes qui se lorgnent mutuellement le nombril. Il faut être réaliste, ces échauffourées marines se résument à initier directement un abordage sans autre forme de procès, qui Dieu merci est une fonctionnalité qui existe et nous évite de nous farcir à nouveau des pâtés de textes inutiles. De même, la gestion de votre équipage, les montées d’expérience de votre capitaine n’auront aucune véritable incidence sur le gameplay du jeu, à part un peu de notoriété et quelques alternatives superficielle de macro-management.
Seuls les évènements au travers de vos pérégrinations navales apportent une certaine immersion, hélas entachée par une répétition désagréable de ces derniers trop peu diversifiés. Par conséquent, on se retrouve bien souvent à subir une énième malédiction ou bien à passer par-dessus bord un malheureux qui aurait sapé notre autorité absolue de vieux loup de mer irascible.
Un autre aspect qui a fait couler beaucoup d’encre sur le premier Pillars Of Eternity concerne la gestion des combats très perfectible. Cela n’a pas beaucoup évolué pour cette suite, même si une amélioration conséquente rend les combats nettement plus piquants, ceux-ci restant néanmoins noyés dans un fouillis de sorts superflus et sans saveurs.
Plus subjectif, le niveau de difficulté normal à l’instar du premier volet est clairement au deçà de ce que l’on pourrait attendre. On ne peut que vous conseiller de régler cela en difficile ce qui vous permettra à minima de jouer équilibré pour une centaine d’heures et d’avoir en prime des combats qui agiteront votre palpitant pour peu que cela vous intéresse.
Pour conclure, et il s’agit cette fois d’une affaire personnelle, il n’existe pas de mode multijoueur, ce qui empêche aussi la série des PoE d’atteindre le saint Graal du RPG PC incontournable. Un petit mode coopératif des familles nous aurait pourtant contentés pour sillonner en groupe l’archipel de Deadfire. Vous pensez encore que c’est inutile ? Vous n’avez alors guère connu le bonheur absolu de saucissonner (à six) notre ami Firkraag sur Baldur’s Gate 2 ou de déclencher un chaos indescriptible dans votre équipe par un fait d’arme des plus salace ! Un aspect que Larian Studios a pourtant compris si l’on attache son regard le succès de Divinity : Original Sin où des joueurs vantards et nostalgiques n’ont de cesse de ressasser leurs anciennes prouesses en se tripotant allégrement la barbe sous les œillades admiratives de leurs pairs moins expérimentés.
Genre : Jeu de rôles | Développeur : Obsidian Entertainement | Éditeur : Versus Evil | Date de sortie : 8 mai 2018 | Prix : 45.99 €
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